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Musique : Pavane de Jean Japart

DAME BERANGÈRE, AGATHE,FÉLICIE, MR de la GRIMACE

DAME BÉRANGÈRE
Bonsoir, Monsieur de la Grimace.

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Bonsoir ! Vous êtes les dernières (JPG)
Car l’engouement soudain de notre populace
Pour mes cours de belles manières
Dû certes au bal de ce soir,
Ne m’a, et ce depuis hier,
pas laissé le temps de m’asseoir.

DAME BÉRANGÈRE
Voici vos deux élèves :
Agathe...

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Ah, celle-ci m’achève :
Je hausse mes tarifs :
Deux cents ducats ! Très honoré...

DAME BÉRANGÈRE
Et Félicie.

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Mais est encor pis celle-ci !
Ma foi, tant pis, mes prix j’élève
Au taux prohibitif :
Trois cent ducats ! Charmante...

FÉLICIE
Monsieur m’a dit : "charmante" à moi, et pas à toi.

AGATHE
Il m’a dit : "honoré".

FÉLICIE
Oui, c’est juste courtois,
Mais moi, moi, il me complimente :
Il voit que je suis la plus belle.

AGATHE
Non, c’est moi ! Tiens !

FÉLICIE
Moi aussi ! Tiens !
Oui je serai ta reine et c’est bien naturel !
Tu devras m’obéir puisque tu m’appartiens !

AGATHE
Non !

FÉLICIE
Si ! Prends ça, et ça !

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Demandons quatre cents ducats

DAME BÉRANGÈRE
Silence à vous deux ! Pardonnez,
Cher Monsieur, leur excitation...

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Oh, mais c’est bien normal, voyons...

DAME BÉRANGÈRE
Aux conseils que vous donnerez
Elles seront tout ouïe,
N’est-ce pas ?

AGATHE
Voui.

FÉLICIE
Moi aussi : voui.

AGATHE
Je l’ai dit en premier, copieuse.

FÉLICIE
Mais moi je l’ai pensé avant que tu l’aies dit !

AGATHE
Ça, ça m’étonnerait, menteuse !

FÉLICIE
Si c’est vrai ! Tiens !

AGATHE
Et tiens, voilà !

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Hurlant
Le prix est de cinq-cents ducats !

DAME BÉRANGÈRE
Ah ? Chut, mes enfants. Nous vous écoutons.
Vous pouvez commencer votre leçon.

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Chère Madame et chères demoiselles -
elles sont laides, vrai, et me font peur ! -
J’ai fait pour l’occasion réduits à un quart d’heure
Un résumé de mes cent deux cours habituels.

Voici en peu de mots une leçon globale
Qui va faire de vous les deux reines du bal :
Grâcieuses quittez votre brillant carrosse
Et montez l’escalier d’un air un peu féroce
Oubliant les laquais, ne voyant pas les gardes :
Ne regardez jamais car c’est vous qu’on regarde !

AGATHE & FÉLICIE mimant la leçon
Ne regardons jamais car c’est nous qu’on regarde !

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Vous passez à présent dans la salle des lustres
Saluant doucement les noms les plus illustres,
Vos robes voltigeant, vos pieds frôlant le sol
Le sourire arrogant et les yeux qui consolent
Toutes les ingénues, toutes les amazones
Qui pouvaient bien sans vous encor prétendre au trône.

AGATHE & FÉLICIE riant de plaisir
Qui pouvaient bien sans nous encor prétendre au trône !

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Vous arrivez enfin dans la salle du bal ;
Le Prince y entre aussi, au fracas des tymbales
Et d’un seul mouvement tout le monde s’incline
Dans un frémissement de tendres mousselines.
D’une puissante voix le Grand Duc vous appelle
Et pour vous présenter à nos rois immortels
Saluez en premier la Reine puis le Roy ;
Puis une révérence au Prince, sans effroi.

AGATHE & FÉLICIE s’inclinant difficilement
Puis une révérence au Prince, sans effroi !

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Faire une révérence est chose peu facile,
Je m’y attarde donc : sans frémir d’un seul cil
Baissez soudain le corps, les jambes repliées
Mais la tête bien droite et les bras déliés.
Essayez.

AGATHE
Vas-y toi.

FÉLICIE
Toi d’abord.

DAME BÉRANGÈRE
Vous ensemble !

AGATHE
Hi, ça fait mal au dos !

FÉLICIE
J’ai les genoux qui tremblent !

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Ce n’est pas ça du tout ! Il faut décomposer !
Faites ce que je dis d’une façon posée’ :
Du bout des doigts pincez le haut de votre robe ;
Le bas de votre corps aussitôt se dérobe,
Fléchissez le genou, doucement, doucement
Et alors seulement votre buste s’incline
Les yeux droit devant vous et la bouche câline !

AGATHE & FÉLICIE _ Tombant et dévalant
Aille ! Ouille !

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Ce n’est pas ça, non ! non ! Je n’en puis plus !
Elles me font mourir !

FÉLICIE Coincée
Je suis tordue ! Je suis moulue !

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Pour être belle il faut souffrir,
Ma chère !

DAME BÉRANGÈRE
elles s’exerceront,
Mon cher Monsieur de la Grimace.

MONSIEUR DE LA GRIMACE
J’espère...

DAME BÉRANGÈRE
Et pour la fin de la leçon,
Avez-vous un dernier conseil ?

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Hélas
Pour ce que cela sert,
Est-ce bien nécessaire ?
Une chose importante : en toute occasion
Soyez à la hauteur de vos réputations,
Et ne décevez pas ; ce qu’on attend de vous
Que pas un mouvement surtout ne désavoue.
La grâce et la douceur seront votre apanage,
Songez-y donc toujours, et sur ce, bon courage !

AGATHE
Moi, je n’ai rien compris.

FÉLICIE
il ne faut pas bouger !

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Ah, vite mon argent et filons promptement !
Madame, voilà vos filles forgées
et leur mérite est rare - heureusement,
Car vrai, pour ma santé ce serait un danger...

DAME BÉRANGÈRE
Oui, des perles, monsieur, perles à plus d’un titre !
Mais voici votre argent.

MONSIEUR DE LA GRIMACE
Si perles elles sont, ma foi vous êtes huître ;
Ah les drôles de gens !
demoiselles, madame ! Allons nous allonger !...

(il sort)




"Cendrillon" de Jean-Baptiste Fronty est un texte déposé © FRONTY - Contact